top of page

Passagère du silence, de Fabienne Verdier

Résilience, détermination, patience, apprentissage à long-terme


L'histoire de Fabienne Verdier est tout à fait exceptionnelle et à première vue, on ne peut pas faire plus éloigné du monde des affaires. Il y a toutefois beaucoup à apprendre pour nos parcours professionnels de cette femme qui force l'admiration.




Un esprit aventureux


Jeune étudiante aux Beaux Arts, elle décide de partir en Chine s'initier à la calligraphie, alors que le pays sort à peine de la révolution culturelle sanguinaire et destructrice de la fin de l'ère Mao. C'est l'ère Deng Xia Ping qui commence et le pays s'entrouvre aux échanges universitaires. Elle se retrouve, seule étrangère, au milieu de la Chine, à Chongqing, qui depuis est devenue une métropole considérable de plus de dix millions d'habitants. Les conditions matérielles sont très précaires et elle tombe plusieurs fois malade. Elle est très surveillée par les autorités mais souhaite aller au-delà des cours imposés pour apprendre des grands maîtres de calligraphie, dont la plupart ont été mis à l'index par la révolution culturelle. Elle arrive néanmoins, malgré la barrière de la langue, à prendre contact avec certains d'entre eux, pour la plupart pauvres et reclus, qui reconnaissent en elle une forte détermination et acceptent de lui transmettre leur savoir. Fabienne Verdier a une ambition à long terme. Elle a observé que pas mal d'artistes chinois avaient fait l'effort de venir découvrir l'art occidental à l'Ouest, elle souhaite faire le parcours inverse : pourquoi une occidentale ne viendrait-elle pas apprendre des artistes chinois pour créer son propre style?


Apprendre au contact des meilleurs


Cet esprit aventureux et non conventionnel est déjà en soi un enseignement à tirer pour le business. Ainsi que le principe de rechercher la transmission par des mentors parmi les meilleurs dans leur spécialité. Ce que Fabienne Verdier a fait dans sa discipline artistique, se mettre en danger, apprendre humblement de zéro, bien peu d'entre nous oseraient le faire même dans leur propre pays et dans leur secteur d'activité.

Fabienne Verdier finit par rencontrer l'un des plus grands maîtres, qui lui signifie un refus poli de s'occuper d'elle. "Avant qu'un maître accepte de vous enseigner, il voulait d'abord être sûr de votre motivation de votre détermination. Il cherchait à vous éprouver. Il fallait se montrer tenace, persévérant". Alors pendant six mois, elle va recopier des calligraphies qu'elle trouve dans des livres, des reproductions et tous les soirs, elle dépose un rouleau de papier sur le pas de sa porte. Pas de réaction. Elle s'ennuie tellement qu'elle achète un moineau parleur pour se distraire. Ses camarades d'université se moquent un peu d'elle. Mais elle persévère.

"Un matin où j'étais en train de travailler, on frappa à la porte. L'oiseau cria "Entrez!". Comme il trouvait sans doute que je n'allais pas assez vite ouvrir ou que le visiteur restait sourd à son invitation, il insista en répétant: "Entrez idiot! Entrez!". J'ouvris la porte, c'était le maître Huang Yuan avec mes rouleaux de papier calligraphiés sous le bras."

Cette anecdote en soi est déjà une ode à la persévérance.


Humilité et patience pour viser l’excellence


Mais c'est là que ça se complique. Ceux d'entre nous qui se sont essayés à la calligraphie savent que c'est un art qui s'apprend sur le très long cours. On ne devient pas calligraphe en un ou deux ans.

Son maître lui déclare d’emblée : "je te préviens si tu commences avec moi, c'est dix ans d'apprentissage à mes côtés ou rien du tout...".

 

A l'ère du zapping, de Tik Tok et du "span of attention" de huit secondes maximum, ces propos feraient presque froid dans le dos à certains. Je vois beaucoup de CV de jeunes qui en veulent, qui ont de l'ambition, mais qui ont tendance à enchaîner les expériences de 1 ou 2 ans sans se fixer quelque part. Or toute personne qui a développé des grands projets sait bien que très peu de choses se font en douze ou dix-huit mois. Il faut trois ans pour réussir un grand projet de transformation impactant, cinq à sept ans minimum pour commencer à bâtir une entreprise, le reste, hormis de rare exceptions, ce sont juste des histoires pour les médias. Je comprends que l'on puisse se tromper de voie au début - qui ne l'a pas fait ? - mais on ne peut pas non plus penser tout obtenir tout de suite sans avoir eu le temps de montrer des résultats concrets. Les anciens disaient "il faut que le métier rentre".





Ne pas brûler les étapes, trouver un sens


Et justement, pour que le métier rentre, son maître de calligraphie ne lui fait faire que des traits droits pendant 6 mois ! Pas de caractères élaborés, ça viendra ensuite, mais il lui demande de montrer différentes notions dans ses traits droits, telles qu’un souffle, une énergie, un os, de l’eau, un fluide, un muscle, une tension, une musique, une onctuosité, etc. Il faut insuffler de la vie au trait, lui donner force, dynamisme et élan. Lui donner un sens. Et c’est souvent ce que nous oublions de faire dans nos taches, trouver le sens de tout cela. Ne pas juste trouver un résultat, des données, mais en comprendre le sens et les implications dans les données les plus banales.

Un jour elle arrive au trait parfait ! Son maître l’invite au restaurant et lui déclare « Ce soir je bois ! Tu as saisi la base. Nous allons pouvoir passer aux autres traits. Nous irons beaucoup plus vite. Le premier pas est le plus difficile ; ensuite on peut parcourir des infinis ».


Confiance et buts long terme


Quelques mois encore après, Fabienne Verdier n’en peut plus de faire que du noir et voudrait égayer ses travaux avec de la couleur. Mais il en est de même avec le noir qu’avec les traits droits. Son maître lui répond : « Non seulement tu ne vas pas mettre de couleur, mais tu vas encore travailler le noir pendant des années. Tu dois arriver à percevoir que, dans le monochrome, dans les variations infinies de l’encre de Chine, tu peux interpréter les mille et une lumières de l’univers. Si tu recours maintenant à la couleur, tu n’iras plus chercher les possibilités du lavis. C’est difficile, fais moi confiance. Lorsqu’au bout de quelques années tu viendras à la couleur, ton interprétation de la lumière sera d’une richesse bien plus précieuse ».


Et ainsi va l’apprentissage au long cours de Fabienne Verdier, entre humilité, vision long-terme, ténacité et confiance dans ses différents mentors. Je n’en dirai pas plus sur les multiples péripéties de son séjour en Chine si vous lisez son livre et sur ses réflexions sur la peinture, avec de nombreuses références à l’art occidental et asiatique. C’est un témoignage extraordinaire sur un pays, une époque, sur l’art et sur l’apprentissage mais c’est aussi le livre d’une aventurière car on ne se lance pas dans un tel projet, à l’autre bout du monde, sans l’être.


Différenciation et barrière à l’entrée


Ce livre nous donne une leçon d’originalité. Même si ce n’était pas le but de Fabienne Verdier, elle nous inspire sur la façon de se différencier des autres par son approche radicalement originale et intrépide, aller seule étudier l’art en Chine, et avec une barrière à l’entrée colossale : des années de sacrifices pour apprendre son art méticuleux au contact des meilleurs, et un grand pari sur l’avenir.



Montagne Ste-Victoire par Fabienne Verdier


Elle est aujourd’hui une artiste reconnue, qui utilise une façon bien à elle de faire des traits – avec des pinceaux géants – et elle a intégré finalement la couleur à son art, qu’elle relie à celui des peintres flamands ou de Cézanne, dans une approche très originale et très personnelle. Elle estime que le calligraphe est une sorte de « passager du silence », de « funambule » et que ses grandes pièces calligraphiques sont des « tables poétiques », une psalmodie de l’écriture qui permet d’atteindre la « tranquillité de l’âme » chère à Sénèque.


Pour ceux qui veulent aller plus loin dans la connaissance de l'auteure: https://youtu.be/qeMwNNUBBjk




Comments


Featured Posts
Recent Posts
Archive
Search By Tags
Follow Us
  • Facebook Basic Square
  • Twitter Basic Square
  • Google+ Social Icon
bottom of page